Elaine Welteroth sur l'art de se dégager d'une conversation difficile
Ce qu'elle a appris en étant la seconde femme noire rédactrice en chef de Teen Vogue en 107 ans d'histoire de Condé Nast
Les fêtes approchent, les retrouvailles en famille et les débats animés aussi. Nombreux sont les sujets sensibles en ce moment – l’écologie, la politique, la géo-politique… autant de sujets qui polarisent et qui peuvent s’avérer explosifs.
Qui ne s’est pas retrouvé(e) coincé(e) dans des débats passionnés à essayer de jouer l’arbitre? D’autant plus lorsque le ton devient extrêmement défensif, le dialogue romp faisant place à un débat d’égos qui menace de ruiner l’ambiance de fête.
Alors comment savoir quand et comment pivoter dans une conversation?
Il n'y a pas de réponse unique ici. Tout le monde a différents niveaux de confort face à la confrontation, et il existe autant de styles de résolution de conflits qu'il y a de conflits. Mais s’il est une personne qui peut nous donner quelques clés, c’est Elaine Welteroth. Célèbre journaliste, auteure et animatrice de télévision américaine, surtout connue comme étant l’ex-rédactrice en chef de Teen Vogue, faisant d’elle la plus jeune et la 2ème femme noire en 107 ans d'histoire de Condé Nast à avoir ce titre.
Sur le jour ou elle est nommée rédactrice en chef de Teen Vogue et devient la seconde afro-américaine a occupé cette place “Ce moment m'a fait réaliser que peu importe ce que je fais, ma race entre dans la pièce devant moi, à chaque fois.”
Dans son enfance, Elaine était ce que Shonda Rhimes appelle un(e) “FOD : first, only and different”, enfant afro-américaine qui grandit dans un quartier de blancs. Sa place dans les médias les plus influents lui donne alors une responsabilité sociétale en tant que femme noire dans une industrie à prédominance blanche.
“Parfois, le simple fait d'être soi-même est un acte radical. Lorsque vous occupez de l'espace dans des systèmes qui n'ont pas été construits pour vous, votre authenticité est une forme d'activisme.”
Elle n’est pas étrangère à la différence, au rejet et est une voix qui compte aux Etats-Unis dans la lutte contre le racisme et la sous représentation des afro-américains dans l’entreprenariat, la mode et les médias. Elle a donc une approche intéressante pour se désengager de conversations inconfortables.
“Ce qui est vrai de la plupart des rassemblements sociaux est qu’à moins que vous ne soyez l'hôte, il y a très peu de choses que vous pouvez contrôler en dehors de vous-même. Il est donc utile d'entrer avec un plan de match, complété par une stratégie de sortie“
1/ Premier réflexe : prioriser sa santé mentale et préserver son énergie.
“Rappelez-vous que ce n'est pas votre travail d'arbitrer les conversations(…) Donnez-vous la permission de rester aussi près du bouton de désengagement que nécessaire pour préserver votre propre santé mentale. »
2/ Si vous rentrez dans le débat, ayez un plan de match et une stratégie de sortie
Si vous trouvez l’esquive un peu lâche, il faut savoir comment et quand pivoter dans la conversation, sous peine de se sentir épuisé, dépassé ou offensé.
Décryptez l’audience : dans la plupart des groupes, au moins une personne est plus intéressée à "avoir raison" qu'à écouter les autres points de vue. Elaine explique “Vous ne pouvez pas changer ces personnes. Il est alors normal de s'éloigner de la conversation. Il en faut deux pour se disputer et deux pour avoir une conversation constructive.”
Connaissez votre rôle : dans la dynamique de groupe, les gens ont tendance à adopter certains archétypes conversationnels. Il y a l'instigateur, l'évitant, le bulldozer, la victime, le défenseur, le gardien de la paix, etc. Si vous décidez d’être le gardien de la paix par exemple, posez des questions qui maintiennent le groupe curieux des points de vue de chacun.
Rappelez-vous que tout le monde à la table peut exercer son libre arbitre pour intervenir, s'éloigner ou insérer des règles de base. Si un sujet vous gêne franchement, n’ayez pas peur de le dire. S’il y a désinformation en temps réel, faites intervenir une personne en tant que “vérificateur des faits”, en particulier lorsque vous discutez de sujets dont le résultat est connu de tous, comme qui a remporté les élections de 2020. Plus chacun sent qu'il a la responsabilité de protéger le groupe, moins la conversation risque de dérailler. Selon Elaine“Bien que les Casques bleus ne soient peut-être pas les plus bruyants de la pièce, ils détiennent plus de pouvoir que vous ne le pensez.”
Apportez de la nuance. “Ce qui se cache souvent derrière les opinions, c'est la douleur, le stress, la confusion, la peur et l'anxiété, en particulier dans les moments de profond changement”, écrit l'auteur Anand Giridharadas dans Time. Il ajoute “Cela n'excuse pas le racisme et la misogynie qui découlent d'une allergie au changement. Mais cela suggère que le remède aide plus de gens à donner un sens à ces changements.”
Au fur et à mesure que les tensions surgissent, les conversations ont tendance à devenir de plus en plus binaires. Essayez d’ajouter un maximum de nuance, selon Elaine “voyez à travers une lentille d'empathie au-delà de la discorde.”
Savoir pivoter en trouvant un sujet qui rassemble tout le monde (comme des mauvaises émissions de télé). Elaine conseille de venir équipé(e) de commentaires ou de questions qui redirigent l'attention et font passer le groupe à un nouveau sujet. Répétez-les si vous en avez besoin : “De toute façon, nous n'allons pas résoudre les problèmes du monde ce soir.” “Quelle est la pire émissions télé à voir en ce moment?” N’importe quel sujet qui peut guider doucement le groupe vers un territoire plus neutre et qui fait l’unanimité.
Son livre : More Than Enough: Claiming Space for Who You Are (No Matter What They Say) retrace son parcours et ses apprentissages lorsqu’elle devient la voix des minorités et actrice du changement chez Condé Nast. Elle y parle de race*, d’identité, d'amour, du sens que l’on donne au succès. Son fil directeur est de rappeler aux jeunes filles et femmes noires qu'elles sont, en effet, plus que suffisantes.
*aux États-Unis le terme “race” est très présent et on est chacun(e) identifié(e) par notre race au quotidien. Que ce soit chez le médecin, au travail, de nombreux questionnaires nous posent cette question : êtes-vous “black”, “caucasian”, “latino” …
Elle revient sur ses débuts où elle rêvait d’etre rédactrice en chef mais pensait que cela était impossible pour une femme de couleur : elle ne se voyait même pas représentée dans les magazines. Jusqu’au jour où elle tombe sur le parcours d’Harriette Cole, dont la carrière devient un modèle pour Elaine. Elle apprend tout sur elle, la contacte, et se voit offrir l’opportunité de travailler avec elle au début de sa carrière.
“Tu ne peux pas être ce que tu ne peux pas voir.”
Sur le jour ou elle est nommée rédactrice en chef de Teen Vogue et devient la seconde afro-américaine a occupé cette place “Ce moment m'a fait réaliser que peu importe ce que je fais, ma race entre dans la pièce devant moi, à chaque fois.”
“Don’t be eye candy be soul food” / Ne sois pas un régal pour les yeux, sois de la nourriture pour l'âme.
“Bring more of yourself to the work because that is what’s transformative. Hiding behind the guise of assimilating only gets you so far.”
“Les voix les plus fortes dominent souvent les conversations animées, il est donc facile d'oublier que tout le monde n'a pas encore pris sa décision. Faites appel aux sentiments compliqués et aux contradictions trouvées dans les deux extrêmes. En désarmant le jugement, vous devenez plus persuasif.”
“Quand la musique change, votre danse doit en faire autant”
"Lorsque vos rêves sont plus grands que les endroits où vous vous trouvez, vous devez parfois rechercher vos propres rappels qu'il y a plus. Et il y a toujours plus qui vous attend de l'autre côté de la peur."